Pour une lecture spirituelle du mal.
Commençons par dire que le monde a toujours eu un caractère apocalyptique.
Ce passé idéalisé, véritable pays de Cocagne, que vantent de nombreuses
personnes, n’a jamais existé. Le monde est sans doute moins pire maintenant.
D’indéniables progrès ont été accomplis. Mais, en même temps, le spectacle
contemporain est celui du mal, montée des nationalismes, haines, violences,
racisme, inégalités croissantes, risques existentiels, notamment, la guerre
nucléaire et le changement climatique. Il est tentant dans les circonstances de
céder au cynisme ou au désespoir. Mais il est plus utile d’essayer de
comprendre afin de pouvoir agir. D’où vient donc ce mal ? Comment
l’expliquer ?
Il est clair que ce mal est systémique, qu’il faut l’inscrire dans la
dynamique, entre autres, de l’histoire, de notre système économique et
politique. Le monde souffre parce qu’on l’a ainsi façonné. Nous sommes les
dépositaires et les créateurs de notre malheur. Et il est urgent de comprendre
ces logiques de la domination afin les surmonter. Et d’ailleurs, de nombreux
mouvements, de toute ordre, s’exercent à inventer un autre monde.
Mais on ne peut s’empêcher de penser que l’histoire a un caractère cyclique, on
abat aujourd’hui l’oppression qui sera vite remplacée par d’autres formes
d’oppression, souvent plus tenaces. On sait bien, par ailleurs, que beaucoup de
révolutionnaires, qui avaient les meilleures intentions, sont ensuite devenus
des monstres. Ainsi côtoyer l’homme au quotidien, peu importe sa sensibilité
politique, sa personnalité, nous convie à un certain scepticisme. Certes il y a
beaucoup à admirer dans l’homme mais il recèle des choses souvent détestables
et méprisables. Il ne s’agit pas de mettre tout le monde au même plan mais de
reconnaître qu’il y a en tout être des espaces d’obscurités.
Ainsi, dans une perspective spirituelle, l’homme est cette créature de Dieu
qui a pour tâche de renouer avec Celui qui l’a créé. Son absence au sens, son
obscurité provient du fait que son ‘ego’ l’emprisonne dans la matière. Il vit
par et pour ce monde, enraciné dans des ambitions terrestres, martyrisé par les
besoins de sa chair, son corps, son sang alors qu’il appartient à la lumière du
divin et qu’il n’a d’autre cheminement que cette lumière. En ignorant ce qu’il
est, le sens de son destin, sa vocation réelle, il subsiste comme un égaré,
cherchant une plénitude qui toujours le fuit. Il est cet être du vide que la
matière ne cesse de désemplir. Trouver sa voie spirituelle est donc cultiver la
lumière qui est soi, la compassion, l’amour, la prière, entre autres, pour que
la lumière du divin soit. Nous nous projetons hors de soi dans une lutte contre
les autres alors que l’espace du combat est soi-même. Il est aisé de juger les
autres, au tribunal de nos certitudes, mais quel est le rapport qu’on établit à
soi-même, dans quelle mesure est-on fidèle à la lumière qui est en soi. Nous
voyons l’absence partout mais est-ce que l’absence liminaire n’est pas à
l’égard de soi-même ?
Ainsi le monde, lieu d’un combat idéologique nécessaire et crucial mais aussi
et avant tout lieu de combat spirituel. On ne peut guérir le monde qu’en se
guérissant.
Autrement nous ne faisons que reproduire les schémas de
l’obscurité, répandre l’obscurité qui est en soi hors de soi. Il n’est de
liberté véritable que ce rapport au divin, ce parcours qui nous mène à sa
lumière.
Nous faisons le constat, quand nous observons la société, d’un mal
inépuisable. Les politiques, les puissants sont les pantins les plus visibles
de ce mal, goût effréné de l’argent, soif de pouvoir, volonté absolue de
domination, c’est à se demander s’ils sont tout à fait humains. Mais ce serait
naïf de s’arrêter à eux, ce mal est bien plus profond, on compte bien sûr des
personnes intègres mais on sait bien que c’est une société du tout va où tout
est permis, où on ne s’autorise aucune limite. Et ce mal est inscrit dans tous
les cœurs, à divers
degrés. On rêve d’un monde meilleur mais pour ce faire il faut d’abord changer
les structures de son cœur, qui est l’infrastructure du monde. Autrement le
monde demeurera ce qu’il est, hanté par le mal. Le prélude à sa transformation
est la transformation de soi-même.
Il faut ainsi purifier son cœur, se libérer des entraves de son ego, pour
pouvoir parvenir au cœur du monde.
Umar
Timol.